23/07/2025

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Bonnets d’enfants chinois : une tradition bien chapeautée

01/11/2002

>>Protégeant du froid et des mauvais esprits, les bonnets d’enfants, véritables œuvres d’art, véhiculent l’amour maternel et les traditions populaires. Cet hiver, une partie de la collection taiwanaise de Christi Lan Lin est présentée au public français

Dans le monde chinois, la naissance d’un enfant, surtout d’un garçon, est un événement particulièrement heureux, signe de chance. Garant de la pérennité du culte des ancêtres, base de l’éthique traditionnelle chinoise, les jeunes descendants doivent être protégés de toute mauvaise influence.

Contre le froid et les maladies, les bébés chinois sont couverts des pieds à la tête, et cette dernière étant particulièrement sensible, les bonnets des enfants font l’objet d’une attention particulière. Faits d’épaisse ouate, un rabat arrière pour protéger le cou et des renforts doublés descendant sur les oreilles, ils les mettent à l’abri des hivers rigoureux.

Mais les « petits empereurs » doivent aussi être protégés contre les mauvais esprits, c’est pourquoi le chapeau est très tôt devenu un support privilégié pour les messages de bon augure, grâce aux motifs fastes brodés par les mères.

Du tigre chasseur de démons à la chauve-souris symbole de chance, des scènes tirées des légendes populaires à la main du Bouddha, les thèmes sont innombrables. La grande originalité de ces bonnets d’enfants, par la stylisation des thèmes et l’esthétisme apporté aux ornements, leur confère un caractère plus artistique qu’artisanal.

Bonnets de ministres
Dans la Chine traditionnelle, les parures et les chapeaux étaient strictement liés au rang social, et les broderies décorant les vêtements principalement réservées à la classe dominante. Sous la dynastie des Qing (1644-1911) par exemple, les uniformes des plus hauts fonctionnaires étaient ornés d’une grue blanche, la licorne était l’apanage des officiers militaires. La broderie pouvait en outre être utilisée pour rehausser les costumes religieux ou d’opéra.

Mais c’est lorsque le peuple se l’approprie, y trouvant une manière d’égayer le quotidien et de transmettre les traditions, que l’on trouve les plus beaux exemples de broderie. Les femmes font alors de leur talent de brodeuse un critère de raffinement et un symbole de féminité. Cette tâche nécessite en effet maîtrise technique et sens artistique. De même, le port du chapeau était dans la Chine ancienne soumis à des règles strictes. Il fallait pouvoir reconnaître le rang des hauts personnages de l’Etat à leur coiffe. Et dès la dynastie des Qin (221-206 av. J.-C.), le rite de passage à l’âge adulte comportait une cérémonie de port du guan [冠], ou « chapeau », terme qui signifie également « être le premier ».

Ces considérations historiques et culturelles éclairent sur l’importance symbolique du geste d’une mère confectionnant le bonnet de son enfant, y apportant amour et raffinement. Protéger du froid et des esprits, mais aussi aider à devenir un homme ou une femme remarquable, telles étaient les fonctions des bonnets d’enfants. Ornés de broderies délicates aux motifs symboliques traditionnels, ils sont aujourd’hui des témoins précieux de la culture et de l’art chinois.

Le tigre dans la vitrine
« Il y a quelques années, en marchant dans une vieille allée de Taipei, un bonnet ancien d’enfant, brodé, disposé dans une vitrine, a attiré mon regard. J’ai demandé à regarder de plus près cet exceptionnel travail d’aiguille. Sur le devant, il présentait un motif de tigre d’une finesse admirable. Il avait sans doute fallu des mois à la mère pour broder ce bonnet. Je me suis mise à imaginer la patience et l’amour consacrés par cette mère anonyme, à travers cet ouvrage. » C’est en ces termes que Christi Lan Lin raconte sa première rencontre avec les bonnets d’enfants. Conférencière bénévole au musée national du Palais depuis douze ans, elle a créé il y a plus de trente ans, avec son mari Eric Lin, la marque de vêtements pour enfants Les Enphants. Riche de cette double expérience, des arts chinois et de la confection pour enfant, l’engouement de Christi Lan Lin pour ces bonnets n’est en rien surprenant. Elle étoffe sa collection au fil de ses déplacements à Taiwan et de ses excursions en Chine continentale et à Hongkong.

Christi Lan Lin possède aujourd’hui un ensemble exceptionnel comportant plus de 300 bonnets de différentes époques. La plus grande partie de sa collection couvre le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. Pièces de coton, rehaussées de soie et finement brodées, ces bonnets sont fragiles. Ils ont vécu, et Christi Lan Lin s’attache à les restaurer, sans rien modifier, « pour en prolonger la vie ». Tout comme ses autres collections - porte-bébé et porte-monnaie des minorités de Chine -, elle les conserve chez elle, en attendant qu’un musée de Taiwan lui propose de les exposer.

En 1996, le 25e anniversaire de la maison Les Enphants a été l’occasion pour Christi Lan Lin de consacrer un livre à sa passion. Traduit en anglais par sa sœur, Stories of Chinese Children’s Hats remporte vite un vif succès, si bien qu’il est actuellement épuisé. Cet ouvrage richement illustré explique en détail le symbolisme chinois, permettant de comprendre l’histoire de chaque pièce. Ce livre fut un détonateur, faisant connaître au monde entier cette collection taiwanaise unique en son genre. Il lance Christi Lan Lin dans une série d’expositions, aux Etats-Unis, notamment au musée des Enfants de l’Indiana, puis à Montréal, avant d’attirer l’œil expert de Gilles Rose, directeur du musée du chapeau de Chazelles-sur-Lyon.

Forte d’une tradition chapelière vieille de quatre siècles, la ville de Chazelles-sur-Lyon abrite aujourd’hui un musée exclusivement consacré au chapeau où se déroulent expositions, démonstrations, ateliers pour le public et stages professionnels. Gilles Rose n’a pu résister, il a invité Christi Lan Lin à venir exposer une soixantaine de ses bonnets dans son musée. L’exposition a débuté le 20 octobre et durera jusqu’en janvier 2003.

C’est avec passion que Christi Lan Lin raconte l’histoire de chaque pièce, leur symbolisme, et s’émerveille devant la créativité de ces mères. Elle explique par exemple que la chauve-souris apporte le bonheur, car les deux mots sont homophones (fu) - les Chinois sont des mystiques du jeu de mot. Devant un bonnet-tigre, la collectionneuse rappelle que dans la mythologie, le tigre est l’emblème de l’Ouest (la direction du Paradis). Tandis que le dragon est le roi des créatures aquatiques, le tigre règne, lui, sur les animaux terrestres. Il symbolise ainsi le courage et la férocité. Selon l’astrologie chinoise, les natifs de l’année du Tigre sont intrépides et volontaires. Rien d’étonnant alors à orner d’un tigre le bonnet d’un petit... même s’il n’a pas l’air tout à fait féroce ! Sur un autre bonnet, la mère a brodé le motif tournant, hui wen, l’un des plus anciens motifs décoratifs de Chine. Associé aux nuages et au tonnerre qui gronde, il signifie la bonne fortune permanente. Le dragon, la plus grande créature divine sur terre - celle qui aida à la création du Paradis -, est également couramment représenté. Son image est censée garantir la connaissance, la dignité, l’harmonie à celui qui l’arborera sur ses vêtements.

« Je suis fascinée par les différents sujets et motifs de broderie qui ornent chaque ouvrage. Je ne peux m’empêcher de chercher à lire dans les pensées et le cœur des mères qui les ont réalisés. Les emblèmes populaires et les symboles cousus sur ces bonnets sont la pure expression de leurs espérances et de leur amour maternel. Ils montrent aussi que c’est un devoir impératif pour les parents de transmettre leur héritage culturel et leurs valeurs familiales... A travers le symbolisme des bonnets, ces Chinoises incitaient leurs enfants à devenir de loyaux sujets et des enfants dévoués. » ■

Exposition : « Bonnets d’enfants chinois », du 20 octobre 2002 au 12 janvier 2003, Atelier-Musée du Chapeau, 16, route de Saint-Galmier, 42 140 Chazelles-sur-Lyon.
http : // www.museeduchapeau.com
Stories of Chinese Children’s Hats - Symbolism of Folklore, Christi et Phylis Lan Lin, University of Indiana Press, 1996
Bonding via Baby Carriers - The Art & Soul of the Miao & Dong People, Yu-Chiao Liu Lan, Christi Lan Lin et Brenda Lin, Les Enphants Co. Publisher, 2001

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